Love Y Amor - Gaby et Kaia

Par Cheryl Coello

J’ai toujours été fascinée par la capacité infinie d’aimer que certaines personnes possèdent. Et aussi par le courage de ceux qui ne craignent pas de se jeter à nouveau à la mer, même après avoir survécu à de terribles naufrages. J’admire la force spirituelle de ceux qui décident de rester ensemble, contre vents et marées, et de passer à travers les tempêtes en se soutenant mutuellement, en s’accrochant à la barre du bateau sur lequel ils avancent et sur lequel ils veulent rester ensemble, pour toujours.

Gaby et Kaia sont tombées amoureuses au premier regard, comme dans les films. Une nuit de février 2014: une sortie avec des amis qui aurait pu être comme toutes les autres. Une visite au café où elles allaient souvent chacune dans leur côté... et voilà le début d’une aventure qui dure depuis déjà plus de 6 ans. Si la beauté a été ce qui les a attirées l’une et l’autre dans un premier temps, elles sentaient confusément qu’il y avait quelque chose d’autre… quelque chose de plus fort. Elles étaient attirées l’une vers l’autre, comme si elles étaient seules; pourtant, il y avait plein de gens autour d’elles. "Pourvu qu’ils disparaissent un moment, tous ces gens, pour qu’elle s’approche", pensait Gaby. "Comment je m’approche d’elle? Qu’est-ce que je lui dis? Elle est si belle qu’elle m’intimide; c’est un ange", disait Kaia. Finalement, dans un moment parfait au timing impeccable, elles se sont approchées, inévitablement et maladroitement avec la certitude que ce ne serait pas la dernière fois. "Donne-moi ton numéro". "Tiens, à bientôt".

Quelques jours plus tard, l’appel est arrivé. Un élan jusque-là inconnu les entraînait l’une vers l’autre. "Je n’arrêtais pas de penser à elle. Pourquoi ne m’a-t-elle pas écrit? Pourquoi ne m’a-t-elle pas appelée?", se demandait Gaby. "Tout était contre moi cette semaine-là! Je voulais l’appeler tout de suite, mais pour une raison ou une autre, je n’ai pas pu... jusqu’à ce que j’aie finalement réussi", avoue Kaia. Et le premier rendez-vous a été planifié. La rencontre est arrivée, sans plan ni scénario, tout en magie et en feux d’artifice! Mais pas seulement; il y a eu aussi la sérénité de se regarder dans les yeux et cette impression de connaître l’autre depuis toujours, qui va au-delà des corps, au de-delà de l’attirance physique.

Il y a donc un avant et un après cette rencontre, cette connexion. Et une décision commune: être ensemble. S’aimer. Même s’il était encore trop tôt pour verbaliser clairement ce qu’elles ressentent, elles savent au plus profond d’elles-mêmes qu’aucune d’entre elles ne s’est jamais sentie aussi bien. "C’est la femme de ma vie", a compris Kaia. Et pour Gaby, il y a eu une révélation : "Voilà, l’amour, c’est ça."

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L’amour, c’est tellement de choses. L’amour est magique; c’est quelque chose qui arrive de façon inattendue et qui s’approprie votre vie et la change. L’amour nous change. L’amour est la lumière au milieu de l’obscurité. L’amour, c’est la force qui te pousse à traverser les jours difficiles. L’amour, c’est le moteur qui te maintient continuellement vers le futur que tu désires avec l’autre, ton être aimé.

Malgré des circonstances difficiles - deux femmes qui s’aiment au Venezuela -, elles ont trouvé les oasis nécessaires pour vivre leur affection. Mais elles avaient besoin de plus, elles voulaient être une famille. "Si on habitait au Venezuela, nous ne pourrions jamais vivre ensemble".

Et ce n’était pas à cause de leurs familles, parce que bien que le processus d’acceptation a été long pour Gaby et Kaia, elles ont réussi à surmonter les complexités initiales. Chacun à sa façon, leurs parents ont compris que Gaby et Kaia n’étaient pas prêtes à renoncer à leur amour.

Dans un pays - le Venezuela - où l’économie est tellement détériorée que l’inflation atteint des niveaux sans précédent, mes amies peut-être font face à des problèmes de taille: discrimination, qu’en-dira-t’on mais, surtout, la difficulté pour un couple de jeunes professionnelles de devenir financièrement indépendant de leurs parents.

Alors que leur amour s'épanouit et que des plans de couple surgissent, le Venezuela, lui, s’effondrait, agonisait et se vidait de son sang. Gaby et Kaia ont cherché des alternatives, des options pour sortir des maisons de leurs parents respectifs et s’installer ensemble dans un foyer partagé, mais c’était impossible au milieu de la ruine, non seulement économique, mais politique et sociale du pays. C’est alors qu’elles ont décidé de lever l’ancre et d’émigrer, en octobre 2015, comme des millions de Vénézuéliens avant elles l’ont fait, y compris moi-même. "C’était l’occasion parfaite de vivre ensemble, de fonder un foyer et de prospérer."

Cependant, même après avoir soigneusement planifié le départ, le choc avec la réalité étrangère fut implacable. Un emploi qui était "sûr" a disparu dès qu’elles sont arrivées en Équateur, les laissant à la dérive. À la nouveauté pas toujours douce de la cohabitation, s'est ajouté l’incertitude économique, comme une sangsue qui absorbait rapidement la réserve d’énergie et de motivation des premières semaines. Des hauts et des bas émotionnels, des pénuries matérielles, des peurs et l’insécurité menaçaient de couler le bateau sur lequel elles avaient décidé de partir.

Mais elles se sont battues contre tout, côte à côte, jour après jour. Elles ont fait des erreurs. Elles ont fait des bons coups. Elles ont appris. Elles ont grandi, ensemble, sachant que les obstacles étaient aussi des occasions de se rappeler pourquoi elles étaient parties et pourquoi elles voulaient rester comme ça, unies.

L’émigration est l’une des décisions les plus complexes qu’une personne peut prendre dans des circonstances normales. Pour bien des Vénézuéliens, c’est devenu une question de vie ou de mort. Pour l’avenir de Gaby et Kaia, c’était peut-être la seule chance qu’elles avaient de réaliser leurs rêves.

Quelques années plus tard, profitant enfin d’une certaine stabilité - après une longue série de difficultés qu’elles ont affronté et surmonté à grand coups de créativité et de volonté - elles se sont retrouvées devant la possibilité de lancer un projet d’entreprise ensemble. Maintenant, elles seraient unies également en tant que collègues. "Nous sommes une équipe invincible!", concluent-elles, après avoir fonctionné comme un engrenage suisse dans leurs présentations aux clients potentiels qui ont toujours été agréablement impressionnés. Gaby et Kaia se complètent: Kaia est le moteur qui démarre, celle qui allume l’étincelle des idées et Gaby, c’est la terre-à-terre, celle qui ramène les idées à un niveau concret pour réaliser les projets. À mon avis, elles représentent tout le positif des femmes entrepreneures d’aujourd’hui: professionnalisme, éthique, innovation, résilience, travail acharné, force...

Et pourtant, en écoutant leurs anecdotes quotidiennes, je réalise combien il est difficile de compartimenter la relation professionnelle et la relation personnelle. Comment peut-on isoler l’amour dans un projet professionnel qui naît de cet amour-là et dont la relation de couple est le pilier fondamental? En même temps, comment peut-on agir et prendre des décisions d’affaires avec objectivité pour avoir les résultats escomptés, en étant un couple? La réponse à ces questions est encore en gestation dans le ventre de cet amour entre Gaby et Kaia, et elle évolue avec chaque épisode heureux - ou pas - avec chaque difficulté à établir qui a raison, qui doit décider au mieux pour les clients. Stylo, leur agence de marketing, le fruit d’une vision d’avenir partagée, est encore un bébé qui a besoin de beaucoup de soins, qui ne peut grandir qu’à partir de l’amour, mais qui, dans la jungle mondiale des affaires, doit aussi être fort et résilient comme ses mères.

Mais Gaby et Kaia désirent aussi être mères d’un bébé de chair et de sang. Un dur renoncement leur a permis de faire un pas de plus dans cette direction: la tentative ratée d’élever Maxi, un chiot équatorien qu’elles ont adopté et qu’elles ont dû remettre à regret à une autre famille parce qu’elles n’étaient pas en mesure de lui donner l’attention nécessaire... Cet événement leur a fait prendre conscience du niveau de responsabilités qu’exige un autre être vivant. "Nous devons être prêtes, mais nous n’avons aucun doute que nous voulons un bébé. Nous voulons être une famille". Tandis qu’elles s’entrelacent les mains et se regardent en se souvenant de ce dur renoncement, elles imaginent le bébé avec le plus grand optimisme. "Un bébé de toi et moi, quel beau bébé ce sera!" s’exclame Kaia, alors qu’elles me racontent les dernières avancées de la science qui pourraient faire de leur rêve une réalité. "Bien sûr que c’est possible", me disent-elles, et mon cœur se réchauffe en les imaginant avec leur bébé en haute mer, sous le soleil pour lequel elles ont lutté sans jamais faiblir.

Ça fait plus de six ans. Pour moi, c’est une éternité. Moi, qui n’ai jamais eu une relation aussi longue, je leur demande quel est leur secret. "Kaia n’a jamais cessé de faire des choses pour gagner mon coeur et pour me séduire. Tous les jours.”, dit Gaby avec une tendresse infinie dans le regard. "L’amour est un travail", dit Kaia, qui enchaîne en m’expliquant le système qu’elles ont créé pour ne pas céder à la routine, à la pression du travail et de la vie: "On se fait des rendez-vous à tour de rôle; chacune prépare quelque chose de spécial à l’autre. Ça peut être une atmosphère, un repas, une attention particulière... Ainsi, nous pouvons nous souvenir de ce premier jour, et revivre l'intensité de notre premier rendez-vous." Cet optimisme me saisit quand je les vois se regarder avec tendresse, dans une connexion rare, peu commune. Je les vois en sachant qu’au-delà de leurs corps, leurs essences s’entrelacent, ce que chacune d’elles est et ce qu’elles sont venues faire dans ce monde.

Sur leur bateau, elles sont heureuses, et il n’y a pas de tempête qui les sépare ou d’obscurité qui les effraie. Ensemble, elles ont grandi et continueront à grandir, loin du naufrage de la Patrie, vers de nouveaux horizons, partageant le gouvernail et le contrôle des voiles. Certains jours seront faciles et d’autres pas, mais je sais qu’elles seront ensemble, toujours, contre vents et marées.

septembre 15, 2020 — Cheryl Coello

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