Minimalisme : désencombrer ma vie, garder l’opportunité de bouger

Par Cheryl Coello


Dans cet article, je ne parlerai pas du minimalisme comme position politique, car ceux qui me connaissent savent que je crois fermement au fait que les gens doivent avoir la liberté de choisir comment ils veulent vivre; avec beaucoup ou peu de choses. Je n’oserais donc pas leur dicter comment vivre d’un point de vue moral.

Il s’agit plutôt ici de mon « minimalisme pratique », de comment j’ai décidé de changer ma vie en donnant la priorité à mes rêves. Sachant que pour arriver là où je veux être, il me reste beaucoup de chemin à faire, intérieur mais aussi géographique, et que le poids des choses rendait plus difficile et plus lourd le parcours pour y parvenir, j’ai eu besoin « d’alléger ma vie ».

Et je ne dis pas ça seulement du point de vue philosophique, mais aussi de la réalité objective. Pendant six ans à Quito, j’ai accumulé des choses et si certaines ont été très utiles dans mon quotidien, d’autres se sont transformées en poids mort. Après neuf déménagements en six ans, je dois accepter que je suis une de ces personnes désirant toujours être en mouvement. Les difficultés réelles que ces objets m’ont causées dans mes nombreux déménagements me font penser à ces poids morts, que nous portons à l’intérieur de nous. Ces poids morts qui nous retiennent et nous empêchent de bouger à notre guise.

Parmi les choses que je possédais - notez l’emploi du passé, il y avait un très grand, un gigantesque bureau. Un bureau qui reflétait la taille de mes ambitions, le désir d’être quelqu’un, l’espace que je voulais occuper. Et cette année, avec la promotion professionnelle tant désirée que j’ai obtenue, la taille du bureau a cessé d’avoir de l’importance. Remplir l’espace a beaucoup plus à voir avec l’empreinte que je peux laisser chaque jour, dans chaque action que je prends pour aider mon équipe. Je n’ai plus besoin d’un bureau géant, qui occupe autant d’espace physique. Je veux voyager léger et profiter de la liberté de travailler où je veux. Si n’importe où dans le monde peut être mon bureau, alors pourquoi m’attacher à un meuble?

Je dois dire aussi que le Quito d’après la quarantaine n’est plus le même qu’avant. Beaucoup de gens luttent pour continuer leur vie après un confinement qui a détérioré un peu plus une économie déjà affaiblie. Beaucoup sont sans emploi, car un grand nombre de grandes et petites entreprises ont fait faillite ou ont dû fermer définitivement. Beaucoup de gens n’ont pas d’argent ni assez à manger, donc ça n’avait aucun sens d’essayer de vendre des choses comme un bureau immense, une table à manger, un lit double... Ces objets ne sont pas des priorités quand les gens se débattent pour subvenir à leurs besoins les plus fondamentaux.

J’ai donc dû trouver des alternatives pour offrir une seconde vie à toutes ces choses. Ajoutons à cela que j’avais un mois pour le faire, parce que je voulais déménager et j’avais déjà trouvé l’appartement parfait! Un bel appartement meublé, où je n’avais qu’à apporter mes vêtements, mon ordinateur et mes effets personnels. C’est alors qu’une personne très spéciale dans ma vie m’a dit: "Il y a un groupe de troc sur Facebook, où les gens offrent des choses intéressantes. Pourquoi ne pas y proposer tes affaires?"

Sans vraiment savoir ce que j’allais trouver, je suis entrée dans le groupe. Et là, j’ai vu toutes sortes de choses! Des gens qui échangent des objets ou services les plus divers et qui cherchent surtout de la nourriture, pour eux, leurs enfants, ou leurs animaux de compagnie. Ça m’a rendue triste, mais heureusement, il y avait toujours des réponses, des commentaires, des partages et des “likes” sous leurs publications. Ça m’a gardée optimiste. Ensuite, j’ai mis en ligne ce que j’avais à échanger, en espérant que quelqu’un s'intéresserait à ce que j’avais: mon bureau géant qui occupait la moitié d’une pièce normale, une table à manger pour laquelle je n’ai jamais acheté de chaises, un petit bureau. J’ai aussi mis le lit deux places qui a parcouru avec moi tout Quito lors de mes neuf déménagements, qui m’a accompagnée dans des relations triomphantes ou ratées, synonymes de bons et de moins bons moments. Je me suis dit que c’était une belle opportunité de me libérer de ce lit et du passé qu’il représente. Parfois, l’acte conscient de dire adieu au passé, de s’en libérer et de se pardonner est nécessaire pour pouvoir continuer à avancer.

À ma grande surprise, j’ai rapidement reçu des messages de gens intéressés par mes affaires. Quelqu’un voulait le lit et faisait des vestes en cuir, alors maintenant j’ai une belle veste qui va me durer des années et cette personne a le lit dont elle avait besoin pour elle et son partenaire. Je vais vivre des histoires et des voyages avec cette veste pour me protéger du froid et ils vont se construire un foyer, ce qui est aussi un voyage.

Puis, un tatoueur est arrivé, exactement au moment où j’en avais besoin. Et il a voulu le grand bureau pour pouvoir servir ses clients à son salon de tatouage. Il a aussi voulu la table à manger pour exposer des choses à vendre dans son magasin. Et une chaise. Ainsi, je vais enfin réaliser mon rêve de me faire les tatouages dont j’ai voulu pendant si longtemps et que je n’osais pas me payer en ce moment.

L’échange du lit était simple : voici mon adresse, salut, voilà le lit, tiens, la veste, elle me va super bien, j’adore, le lit se démonte, aide-moi, c’est ma copine, elle est aussi Vénézuélienne, enchantée, quel beau lit, sourires, merci. Mais comment échanger des choses physiques contre des tatouages? Je devais faire confiance. Facebook nous permet de connaître un peu les gens, alors je suis entrée pour voir le profil du tatoueur et, en plus de beaux tatouages dans sa galerie de réalisation, j’ai vu que l’une des choses qu’il faisait était d’échanger des tatouages contre de la nourriture pour chien, et qu’il allait avec ses amis nourrir des chiots abandonnés pendant la pandémie. J’ai été touchée. J’ai décidé de prendre le risque et de lui faire confiance. Je lui ai donc donné mes meubles en échange de sa parole. Et pendant que j’écris ceci, je certifie qu’il a honoré sa parole... Je vous passe sur la douleur de ma première session de tatouage, mais ça c’est le prix à payer!

Pour pouvoir faire du troc, il faut se déprogrammer. Il faut également retrouver la confiance perdue dans les êtres humains. Le troc ne pourra bien sûr jamais remplacer le système monétaire, parce que ce dernier est plus pratique pour des échanges commerciaux. Mais il a un aspect du troc qui m’a fascinée: cette façon d’être tout à coup, lié à un inconnu. Des objets qui ont atteint la fin de leur voyage avec moi, mais qui peuvent parfaitement représenter un commencement pour une autre personne. Dans l’acte d’échanger, il y a toutes ces histoires de début et de fin. Je rejoins un peu Marlène sur ce point, quand elle nous parle des objets seconde main. J’adore imaginer les histoires que ce bureau, ce lit, cette table à manger vont avoir. Combien de joie ces objets désormais inutiles pour moi apporteront à d’autres et combien ils feront partie de la construction d’un nouveau pan de leur vie alors que je profite moi de nouveaux items qui me remplissent de joie et ont leur place dans ma nouvelle étape de vie.

Moi, qui retire de cette expérience une veste et plusieurs tatouages à graver éventuellement dans ma peau, je peux vous dire que j’ai atteint mon objectif: réduire les bagages, autant ceux de l’extérieur que de l’intérieur, et me préparer à suivre mon chemin de façon légère, beaucoup plus légère.

septembre 28, 2020 — Cheryl Coello

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