Poème épistolaire ou l’île miroir.

Par Hélène Lebon

Ce texte a été conçu pour le vidéopoème « Poème épistolaire ».


Il est le reflet d’un exil et d’une quête. D’un exil d’abord du quotidien étouffant, emprunt de préjugés, de croyances limitantes et d’heures obnubilées qui censurent la retrouvaille avec ma raison d’être, mon envie profonde de croquer la vie. J’étais encabanée dans une existence cloisonnée. 


L’arrivée sur l’île, de la décision spontanée a priori, mais en réalité réfléchie et dûment souhaitée, de s’y établir, coïncide avec une découverte de mon nouveau territoire alentour et intérieur. La vie de l’île révèle ce paradoxe de finitude terrestre qui autorise comme condition sine qua non, l’infini de l’horizon. Partout, un chemin est possible. Se dresse alors un nouveau narratif que je suis libre de découvrir, un chapitre, choc des titans qui s’affrontent, ma cargaison de vie d’avant et mes aspirations (re)trouvées. C’est un peu une boîte de pandore que j’ai ouvert. 


Heureuses et nécessaires, ces découvertes sur moi, sont pénibles parfois et me forcent à regarder en face les chaînes dont je m’accable, les questions qui me hantent. La création, qu’elle s’exprime par la maternité humaine, de projets, ou d’amitiés explose avec fracas. La mer, tantôt alliée tantôt ennemie n’est qu’une solution révélatrice comme le bain d’un laboratoire photo, la mer ne me mâche pas le travail mais elle me confronte et me permet de m’affirmer comme femme, comme autrice, comme féministe. Sur l’île, je me gestationne et je (re)nais, baignée par le fluide atlantique et la chance contenue du sursaut de terre. 


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Poème épistolaire


Ailleurs le monde s’arrête mais 

À la plage ça vit, ça grouille, ça bouge. 

À la plage on s’embrasse de sel 

Et par vagues d’étincelles têtues, le soleil absolu,

L’horizon s’ouvre un peu.

« C’est que le début, d’accord, d’accord ».


J’ai avalé mon inspiration hypocondriaque de continent

Cachée au creux de mes falaises effritées,

Le cœur et le corps enfin secoués, les courants contraires.

Je viens d’ailleurs, « CFA qu’ils disent, come from away »  

J’ai fait non de la tête, « CFFA, come from far away »

Je reviens à la charge insolente, bonne à rien, 

Bonne à rire aux larmes.

J’ai pris de la houle le coup répété,

Butée comme l’Atlantique en plein janvier.


Gracieuseté de l’eau, partie remise,

Je suis en sursis.

La mer qui donne l’exil,

La mère qui donne le souffle.

 

Avec le ciel grand comme l’océan,

Mes yeux aux étoiles et le coeur dans l’univers 

J’ai marché jusqu’au point de fuite 

Avec la gravité dérisoire des oiseaux de bord de mer.

La vie de l’île, ni du large ni du continent. 

La vie concédée, friable comme ce lopin de sable sur les flots.

Et voilà sous nos yeux, des arabesques folles à pleurer.


La mer d’ici, tu sais, elle gèle. 

Mais comme partout elle se réchauffe 

Et ça, ça me fond le cœur. 

La vie de l’île accrochée, cocardée, 

Le reste n’est que déraison.

Effeuilleuse de peau de perles,

Acrimonie lacrymale du dernier souffle

Insécure et médiocre, social et blafard.

L’île habite, la côte s’effondre sur le bord. 

Une à une. Pan à pan. Inspire expire.

Toutes les côtes se décollent.


Il y a tellement de mer que j’habite une carte-postale. 

Il y a tellement de sel que j’habite un pays de larmes 

Où personne ne pleure. 

J’habite un territoire emprunté,

Mon nom dessus.


Moi aussi, moi comme les autres avant moi, 

Je ne regarde rien, je regarde tout, 

J’embrasse l’océan de mes yeux absorbés

Et je ne sais pas s’ils voient en dedans ou en dehors. 

J’embrasse l’infini avec la fougue hollywoodienne 

Des films de Maryline et l’écume, ma sulfureuse, roule sans presse, 

Séchée au creux de mes paupières.


Peut-on crever de fin si on ne voit pas le bout? 

J’interroge, sonde, fouille, traque, remue le sable et les méninges

Comme une folle dithyrambique et fervante,

Peut-on crever de fin à la fin? 


J’habite une carte postale que j’envoie souvent.

Comme un carton d’invitation, un rire étouffé. 

Et quand on crie dans les vagues personne n’entend, 

Car je crie bien sûr. 


En mon sein inutile je nage perdue

Quand dans mon ventre 

S’entre-coupent sans cesse de cessez-le-feu 

Interrompus et saoulés la colère et le silence. 

Et le reste, entre mes reins, vides, le cœur plein. 

Vais-je donc reconnaître à la mer

Le monopole de baigner le monde 

Et moi de rester fille?


J’ai pris dans mes lignes les mots 

Des histoires de ports, de phares, de forts. 

J’ai canevassé la mer que rien n’arrête 

Écrins de vies

Moi qui n’abrite rien, qui n’abrite que moi.

Vogue à l’âme insulaire, 

Je commence à comprendre. 


Aux cieux irrités, le bleu impassible,

Aux impatients, le bateau roboratif. 

Déferlantes obtuses, monstrueuses et franches,

Plus de révolte, pas de bounty, 

Plus de plage, moins de jours.

Je flotte, regarde comme je flotte

Floue mais pas encore foutue.


Ici, je m’exile, je m’expose, je m’époumone. 

Ici, je roule déferlante et fière.

Ici, je suis fille de l’île et je raconte,

L’encre coule, le phare aussi,

Ici, je suis à moi, je suis à nu, à nulle autre que moi.

mars 01, 2023 — Hélène Lebon
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